Vague ébauche d'un journal en ligne
ou
Les Aventures Imaginaires de Sami
Quel sens donnes-tu à ton existence ?
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Cette page se donne pour but de recueillir chronologiquement les archives du "message sur l'état de Sami", publié de manière irrégulière sur la page d'accueil de sami.is.free.fr.
Le tout se présente donc, par la force des choses, comme une ébauche de journal en ligne. Une différence notable avec les journaux habituels : ici, Sami n'est pas l'auteur à la première personne de sa vie, mais c'est un autre (car je est un autre) qui écrit sur lui, d'après lui, ce qui entraîne par voie de conséquence l'usage de la troisième personne.
Tout le contenu de ce texte est susceptible d’être revisité, récrit par son auteur, qui se réserve le droit de disposer à sa guise de l’histoire et de l’existence de Sami : soit que la mémoire de ce dernier fasse surgir des ténèbres des éléments nouveaux, soit que la formulation des idées soit jugée trop faible, inexacte ou mauvaise par l’auteur ou par Sami lui-même. Ceux qui ne sont pas contents...

Johannes.
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Dernières nouvelles : Mai 2008

Comme les années passent vite : 2001 - 2002 - 2003 - 2004 - 2005 -2006 - 2007 - 2008

:: 2001 ::

Septembre

2001 : [septembre - 10 - 25] - octobre - novembre - décembre
2002 : janvier - février - mars - avril - mai

10 Septembre 2001 :

OU EST SAMI ?
"Je suis chez moi. J'attends la rentrée de Sciences-Po, en octobre. J'ai honte."
Comment va-t-il ?
A la mi-septembre, il se sentait un peu désoeuvré. Vaguement déprimé. Mais pas trop.
Pour le réconforter, écrivez-lui un petit mot.
Est-il amoureux ?
Non. Peut-être. Impossible de savoir.

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25 Septembre 2001 :

OU EST SAMI ?
cf. supra
Comment va-t-il ?
Un peu mieux qu'au début du mois. Il a vu plein de gens.
Est-il amoureux ?
Difficile de savoir. Moi, je parierais que oui. Mais de qui ? Je crois qu'il n'en est pas sûr lui-même.

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Octobre

2001 : septembre - [octobre : 12 - 23 - 30] - novembre - décembre
2002 : janvier - février - mars - avril - mai

12 Octobre 2001 :

OU EST SAMI ?
"Je suis chez moi. Ou à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Ou à Sciences-Po.
Ma rentrée s'est bien passée.
Je redouble ma première année. J'ai honte."
Que fait-il ?
En octobre, il semblait bien qu'il croulait sous une tonne de travail : M.Parini, son prof d'Institutions Politiques à Sciences-Po, lui demandait en effet de ficher un gros livre par semaine. Au fil de ces lectures, il découvrait ainsi qu'il existait des intellectuels "de droite". (Rappelons que la différence entre la droite et la gauche tient en ces mots :"La nature est à droite ; la culture est à gauche")
Il lisait donc, avec un certain détachement, "Du Pouvoir" de Jouvenel, et "Démocratie et Totalitarisme" de Raymond Aron, dans un climat intérieur d'intense bouillonnement intellectuel et d'incertitude croissante quant aux actes qui baliseraient son existence dans un futur immédiat.
Parallèlement, il en était arrivé à la page 188 d'American Psycho de Bret Easton Ellis, après avoir tenté sans succès de lire des écrivains français à la mode (notamment Amélie Nothomb, qui lui tombait des mains).
Patrick Bateman, dans ses costumes de marque, saignait du nez.
Comment va-t-il ?
A la mi-octobre, il se sentait assez mal à l'aise. Il prétendait ne plus être sujet à ses crises bénignes de spasmophilie, mais il éprouvait toujours une sorte d'angoisse, de peur. Pourtant, il aurait été bien embêté de définir exactement de quoi ou de qui il avait peur. Une sorte de paralysie face à l'action, qui lui devenait coutumière...
Pour le réconforter, écrivez-lui un petit mot.
Est-il amoureux ?
Oui. Oh la la. Peut-être. Impossible de savoir.

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23 Octobre 2001 :

OU EST SAMI ?
"Je suis chez moi. Ou à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Ou à Sciences-Po. Forcément quelque part à Paris, peut-être au Mondrian (boulevard Saint-Germain), ou entre le Panthéon, le Lycée Henri IV et la rue Mouffetard.
Que fait-il ?
Pour le boulot, ça se tasse un peu. Il a pris un peu de retard, mais il prétend qu’il s’en sortira tout de même.
N’empêche qu’il ne dort pas 4 heures par nuit. Le week-end dernier, il s’est retrouvé quelque part en Vendée, près de Luçon, pour le voyage d’intégration des première et deuxième années. A son retour, il aurait fait cette déclaration : « La Vendée, c’est plat. Et mouillé. » Mais on sait aussi qu’il a passé un certain temps à voler dans le ciel de Vendée, qui est un océan, et dans lequel les nuages bleus ou blancs jouaient à faire des poèmes apollinariens.
Le samedi soir, il paraît qu’il a déchaîné la foule en dansant un mambo éclatant avec la belle Lise Lecomte, de deuxième année. Leur chorégraphie comique ou enflammée, leur grande classe, l’accord parfait de leur danse, auraient ainsi suscité les hurlements de leurs camarades, et c’est ainsi qu’ils se sont retrouvés intronisés Miss et Mister Sciences-Po. Ils ont passé le reste de la soirée à serrer des mains, recevoir des compliments à la tonne et des avances à peine voilées de personnes de l’autre sexe. Sami prétend qu’il a bien fait de boire un whisky et deux verres de vin rouge au dîner ce soir-là. C’est d’ailleurs ce qu’il a affirmé sur un ton revanchard à Jenny, la jolie américaine qui trouvait que le whisky avait un goût affreux, mais que Sami était définitivement cool  (elle prononçait ce dernier mot avec un sérieux qui, à la fois, le décontenançait et le réjouissait).
Comment va-t-il ?
Il dit qu’il va bien. Pour tout vous avouer, il lui semble même approcher un état proche de la béatitude. Mercredi dernier, à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, il s’est fait attribuer la place numéro 001. Depuis, il garde ce petit bout de papier comme une relique, et projette de le faire encadrer.
Et aujourd’hui, dans le métro, une jeune américaine qui lisait Hemingway l’a abordé parce qu’il tenait « The Jungle Books » de Kipling sur ses genoux.
Vendredi soir, dans le car qui les emmenait en Vendée, il a discuté avec Thibault (qui sort avec Lise, sa partenaire de danse). Ils ont parlé de nuit, de fleurs noires et de flamenco. Bientôt, Sami rêva tout haut. Et, la voix presque étranglée, il expliqua à Thibault ce qu’il recherchait dans l’existence, devenir un dieu pendant quelques secondes, tomber amoureux d’un instant.
Le voilà donc follement amoureux.
Est-il amoureux ?
Est-il amoureux ?  D’une fille ? Il l’a peut-être été pendant un moment, mais maintenant, il ne l’est plus. Il cherche à rompre avec Mélissande, qu’il aime beaucoup, mais avec laquelle il ne sent pas l’envie de poursuivre très longtemps une relation amoureuse. C’est bien dommage. Le voilà donc de nouveau célibataire en esprit.
Dites-lui, vous, d’arrêter ses papillonnages imbéciles !…

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30 Octobre 2001 :

OU EST SAMI ?
"Je suis chez moi."
Que fait-il ?
Un peu n'importe quoi. Il paraît même qu'il sèche quelques cours. "C'est mal, je sais" assure-t-il.

Dimanche dernier, il s'est retrouvé dans une ferme-auberge berrichonne, sur la rive gauche de la Loire. On lui a servi un foie gras de canard délicieux. Puis, avec ses petits cousins, il a été jouer avec les poules, en prenant bien garde à ne pas salir son beau costume ni ses belles chaussures vernies. Il a fait le guignol sur la pelouse, et a cassé des noix pour les autruches.

Il a écouté une sonate de Chopin sur le walkman de sa cousine Hanna, en regardant le soleil couchant caresser la campagne.
Sa cousine Elise lui a demandé si c'était vrai qu'il était allé aux Bains-Douches vendredi soir. Il a répondu que oui, en affectant un air blasé qui n'a trompé ni Hanna, ni lui-même.
Il a ressassé les évènements passés de la semaine écoulée.
Il a pensé à Henri, son parapluie adoptif.
Comment va-t-il ?
Ses soirées agitées commencent à le fatiguer un peu. L'état euphorique qui le caractérisait depuis un moment retombe peu à peu.
Est-il amoureux ?
Il ne dément pas. Oh la la. Impossible de savoir.

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Novembre

2001 : septembre - octobre - novembre - décembre
2002 : janvier - février - mars

Novembre se perd... Les jours furent long pourtant, mais qu'en fit il ? Il n'en a aucun souvenir. Tout ce mois lui semble appartenir à un autre monde.
Il a rompu avec Mélissande, et leur rupture s'est faite en douceur (un peu trop en douceur peut-être à son goût). Mais il est très fier d'avoir eu le courage d'en finir avec cette relation un peu bancale, qui lui semblait à lui presque incestueuse.
Il est allé à la première soirée Sciences-Po, où il a dansé pendant des heures avec Marie Du Bouëtiez, pendant que Nicolas Pétriat pillait le bar et disparaissait mystérieusement.
C'était chouette.
Mais à part ça ? Bon Dieu, j'ai beau lui demander de faire un effort pour se souvenir, rien, non rien, ne filtre ; le plus terrifiant est qu'il semble réellement n'avoir aucun souvenir du mois de novembre.

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Décembre

2001 : septembre - octobre - novembre - décembre
2002 : janvier - février - mars - avril - mai

18 Décembre 2001 :

OU EST SAMI ?
Le jour, il traîne quelque part entre Sciences-Po et la librairie Gibert-Joseph.
A la nuit tombée, il va somnoler un peu à la Bibliothèque Sainte-Geneviève devant ses livres ouverts et il observe avec une moue amusée ses camarades se gratter le nez ou ricaner tout seul dans leurs manuels de virologie.
Que fait-il ?
Il fait des insomnies. Il est un peu malade.
Mais le froid le revigore.
Il dit que l’hiver, et le froid presque atroce qui l’accompagne, le mettent réellement en danger à chacune de ses respirations, que sa vie redevient ainsi clairement une lutte de chaque instant contre la mort ; et que cette lutte, pour ainsi dire poétique, constitue un peu de distraction gratuite dans sa vie qu’il juge par ailleurs sans relief.

En somme, il se sent bien de se sentir mal.
Le premier samedi de décembre, après avoir bu un tiers de la bouteille de mauvais Beaujolais qu'Alexandrine avait ouverte sur la terrasse du Foyer International, il est allé danser chez son ami Timothée.
Il prétendit qu’il boirait ce soir-là plus que Nicolas Pétriat lui-même (qui n’était pas là), et avala coup sur coup plusieurs grands verres d’alcools forts et divers.
Tentant de lutter contre les méfaits des molécules alcoolisées dans son cerveau, il discuta vaguement avec deux personnes, décida qu'il était une boule de billard, se fit embrasser sur la bouche par quelqu'un et finit par se vautrer sur le sofa. Le reste n’est plus dans son esprit qu’un brouillard opaque et mystérieux, duquel émergent comme d'une boue indistincte rêves et visions grotesques ou spectaculaires.

Lundi dernier, neuf jours plus tard, (entre lesquels il ne se produisit pour ainsi dire, rien), il se fit inviter par Jenny, la belle américaine brune aux yeux bleus, (qui le trouve cool ) : "j'aimerais beaucoup que tu viens chez moi ce soir à ma fête", lui disait le message qu'elle avait laissé sur son répondeur. Sami en rougit de plaisir.

Il se rendit chez elle, rue Hermel, avec Timothée ; arrivé là-bas, après avoir salué comme il se doit son hôtesse, et pour ne pas faillir à sa réputation de buveur de whisky, il avala coup sur coup plusieurs grands verres d’alcools.
Mais cette fois, il ne perdit pas la tête, et, au prix d'efforts surhumains, parvint à faire connaissance avec plusieurs personnes diversement intérressantes, parmi lesquelles : une étudiante en cinéma, de jeunes producteurs bien habillés, un type du RPR Sciences-Po et plusieurs américains de Boston.
L’un des jeunes producteurs, à qui il déclara, sous l’emprise de l’alcool, ambitionner de devenir un écrivain génial, lui remit sa carte (qui lui servit de marque-page pour lire L’insoutenable légèreté de l’être).
Il dansa, et fut charmant avec tout le monde.
Malgré l’opposition gênée d’Eric, le colocataire de Jenny, il finit la nuit dans le lit de cette dernière, -en toute chasteté (car Sami est un garçon honnête), avec aussi une jolie américaine asiatique.

Oh, boy
Il eut un peu chaud, encore tout habillé, coincé entre ses deux américaines à moitié endormies. Longtemps, il garda le regard fixé sur Jenny qui dormait à ses côtés, détaillant son nez charmant, ses paupières closes, et ses lèvres, écoutant son souffle doux et régulier.
La présence à ses côtés de ces deux jeunes filles endormies, leur vulnérabilité, leur innocence dans le sommeil, la chaleur de ces deux corps qui venaient parfois se blottir contre lui, comme contre un amant ou un frère, inconsciemment, avec une confiance totale et candide, tout cela le troublait au plus haut point. Il avait envie de pleurer de joie.
Il fit semblant de dormir, s'agita dans sa somnolence, et fut habité de rêves étranges, terriblement simples et baroques.

Que dire d'autre ? Sami met à profit ses insomnies, et lit beaucoup. Ainsi, après avoir fini Narcisse et Goldmund de Hesse, qui le passionna, et dont il dit beaucoup de bien à Nicolas Pétriat, il entra dans Le joueur de Dostoïevski, et se laissa prendre à la passion et à la folie furieuse qui bouillonnent dans ses phrases fiévreuses.
Puis ce fut Jack London, et des nouvelles de Sommerset Maugham, à la pelle.

Le 26 Novembre, il est allé voir Mulholland Drive avec Nicolas. Il prétend depuis que c'est peut-être le plus beau film qu'il ait vu de toute sa petite vie.
Mais, "Silenzio !"...

Enfin, il lut La Plaisanterie de Kundera, et ce fut pour lui une petite révélation.
Ce qui l’amena logiquement à se jeter sur L’insoutenable légèreté de l’être, dont il affirme maintenant que c’est peut-être également le meilleur livre qu’il ait lu de toute sa petite vie.
Mais je le soupçonne fortement d'être en proie à un délire enthousiaste, à une euphorie due à l'atmosphère glacée de ces derniers jours. Tout cela est nettement exagéré, je trouve.

Ses insomnies le fatiguent. Il travaille peu.

Comment va-t-il ?
Apparemment, il aimerait bien être amoureux.
Son état de santé n'est pas brillantissime, et son mode de vie n'est pas pour arranger les choses.
Est-il amoureux ?
Avec lui, on ne sait jamais. Il nie, mais faiblement, avec un regard qui va se noyer dans les brumes matinales. Je me demande ce qu'il a.
Ecrivez-lui un mot, ça lui fera du bien, je crois.

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:: 2002 ::

Janvier

2001 : septembre - octobre - novembre - décembre
2002 : janvier - février - mars - avril - mai

22 Janvier 2002 :

OU EST SAMI ?
Il est chez lui. Il révise pour les oraux de la semaine prochaine. Il n'a pas peur.
Que fait-il ?
Il ne va pas beaucoup à Sciences-Po. Il dit qu'il est malade. Heureusement, les vacances arrivent.
C'est vrai, il n'a pas bonne mine...
Son visage, plus pâle qu'à l'ordinaire, se creuse de larges cernes bleues. Il se sent faible.
Je le trouve changé. Quand il n'est pas absent (dans l'un ou l'autre sens du terme), il dit n'importe quoi. Pour un peu, on le croirait sous drogues.
En revanche, il met toujours à profit ses insomnies pour lire. Il a certes ralenti le rythme de ses lectures ; le sommeil vient parfois plus tôt qu'à l'ordinaire, délicieuse surprise à laquelle il se laisse aller, sombrant dans les fleuves chauds du sommeil.
Il a lu l'Utopie de More ; et quantité d'autres choses encore.
Il aimerait faire beaucoup plus.
Comment va-t-il ?
Il est tombé amoureux de sa coiffeuse, une jolie blonde de deux ans son aînée. Heureusement, elle est inaccessible ; charmé plus qu'amoureux, il ne se lasse pas de la regarder, respire avec délice son parfum délicat lorsqu'elle se penche sur lui, et s'amuse de leurs conversations insignifiantes et enjouées. Pour tout dire, elle lui sauve un peu l'existence, ces derniers temps.
Est-il amoureux ?
Il aimerait bien être vraiment amoureux. Sa coiffeuse, c'est pour de rire.
Seulement, de qui pourrait il subitement tomber amoureux?
En attendant, il vole des "Je Bouquine" dans la chambre de sa soeur, se gave de films à l'eau de rose, et pleure à chaudes larmes en regardant le shakespearien Much ado about nothing de Kenneth Brannagh.

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Février

2001 : septembre - octobre - novembre - décembre
2002 : janvier - [février : 8 - 28] - mars - avril - mai
 

8 Février 2002 :

OU EST SAMI ?
Il part pour Londres, puis Oxford. Il y restera presque dix jours.
Que fait-il ?
En attendant son départ pour l'Angleterre, il a profité de ses vacances pour sortir un peu, notamment avec Nicolas Pétriat, avec lequel il est allé au cinéma jeudi soir, et au New Morning vendredi, où il a passé une chouette soirée.

Cependant, il m'a raconté une chose étonnante : jeudi soir, alors qu'il revenait de la gare, il emprunta pour rentrer chez lui une petite rue bordée de pavillons, qu'il aime particulièrement, à cause du chèvrefeuille qui pousse en cascade sur les clôtures. Il se parlait en lui-même, se remémorant les mille et un discours sur "l'insécurité" dont on nous rebat les oreilles depuis quelques temps ; ce faisant, il sortit un chewing-gum de sa poche intérieure, et se mit à dire tout haut, passablement excité : "Et elle est où leur putain d'insécurité ? Il est une heure du matin, il fait sombre et froid, je suis dans une rue déserte tout près du quartier le plus mal famé de la région, et je ne me suis jamais senti plus en sécurité  ! C'est du pipeau, du pipeau médiatico-électoral !" ; tout en se lamentant sur l'amoralité des journalistes insécuritaires et des politiciens qui n'ont rien à dire mais parlent tout de même, il se baissa pour laisser tomber dans une bouche d'égoût le papier de son chewing-gum.

A ce moment précis, alors qu'il relevait la tête, il fut aveuglé par les phares d'une voiture de police, qui s'arrêta à sa hauteur. Trois hommes en descendirent, claquèrent vivement derrière eux les portières et s'avancèrent vers lui : "Bonsoir monsieur, contrôle d'identité". Il ouvrit son manteau noir et en sortit docilement son passeport qu'il portait sur lui depuis le matin. C'était la première fois qu'il se faisait contrôler.

C'est arrivé près de chez vous :
UNE AGRESSION POLICIERE

"Sami Kitar. Ouais... ouais, ouais, et c'est quoi que t'as jeté dans l'égoût ?
-C'était un papier de chewing-gum, monsieur", répondit-il en extirpant le corps du délit encore tout frais de sa bouche. Il se sentait légèrement nerveux.
"Dis-don, ce serait pas été un petit pétard, plutôt, hein ?" ricana le flic en le regardant de côté.
"C'était un papier de chewing-gum", répéta-t-il.
-Ouais, ouais... Et t'habites aux Tertres, hein ?"
Les Tertres, c'est le quartier sud de Bagneux, où Sami a passé toute son enfance : de longues barres de HLM qui se ressemblent toutes. Un certain trafic de drogue. L'ennui derrière le béton. Des clichés à deux balles. Ses amis, le terrain de basket, et la luge en hiver avec des cartons déchirés sur la pelouse du Tertre, et l'école Marcel Cachin.
Cependant, Sami ignorait qu'il existait un délit de résidence.
"-C'est mon ancienne adresse, maintenant j'habite un peu plus bas... Mais d'ailleurs, je ne vois pas ce que...
-Comme par hasard, hein ? Tu nous prend pour des cons ?" rétorqua le policier.
Et, se tournant vers son collègue qui asssassinait Sami du regard :"Allez, on palpe".
Le collègue ne se le fit pas dire deux fois ; ils commencèrent alors à tirer sur les poches de son anorak sans ménagements, et entreprirent de les dépouiller des objets qu'elles contenaient.
Malmené par ces deux hommes (qui ne lui manifestaient pas même la trace d'une certaine civilité, d'un respect du citoyen, ce citoyen dont le policier a pour charge, en théorie, la protection), Sami se sentit agressé, et son sang s'échauffa ; il ne comprenait pas ce qui pouvait justifier les manières parfaitement discourtoises des deux fonctionnaires.
Petit merdeux, on va te coffrer pour outrage !S'efforçant de garder son sang-froid, il pria d'abord les deux agents de se calmer. Il n'avait encore commis aucun crime, après tout. Il avait le droit d'être traité comme n'importe quel citoyen français, c'est-à-dire, décemment et avec au moins du respect. Devant l'absence de changement dans le comportement des deux hommes, il dit alors :
"Mais enfin, on n'est pas au Far-West, ici !".
Quelques instants plus tard, sans qu'il comprenne pourquoi, ni comment, il se retrouvait saisi à la gorge par des mains puissantes alors que d'autres mains lui tordaient le bras droit; et, plaqué contre une haie, étranglé par le plus jeune à en perdre connaissance il s'entendit dire ceci : "Tu veux qu'on se calme ? Je vais te dire un truc : c'est toi qui vas te calmer... Là... T'es calmé ?... Tu fais plus le malin, maintenant ? Si t'es calmé, dis 'je suis calmé'... Dis-le, j'te dis !"
Ceci dans une ruelle sombre, glaciale, déserte à plus d'une heure du matin.
Sami , terrifié, étranglé, tenta faiblement de répondre. Il espérait trouver du secours auprès du troisième homme, qui se tenait en retrait, silencieux et neutre ; du regard, il l'implora, le supplia, mais en vain : dans ces yeux lâches qui le fuyaient, il ne rencontra qu'un mur d'indifférence peut-être gênée.
Les doigts des policiers entraient dans sa chair. "Dis 'je suis calmé'..."
Sami hocha la tête, comme il pouvait.
Une fois l'étreinte desserrée, il put reprendre son souffle ; et les policiers en question qui vidaient ses poches sans ménagements durent se rendre à l'évidence : ils n'avaient rien contre lui. Les cigarettes étaient de vraies cigarettes, et, outre un vieux mouchoir et de la menue monnaie, les poches ne contenaient qu'une paire de clés, et une carte de transport à moitié abimée.

Tremblant, humilié, révolté, et alors que sa gorge lui brûlait encore, Sami exprima alors, d'une voix qu'il voulait ferme, son désir de se faire conduire au poste afin d'y déposer une plainte.
La suite ? Une demie-heure de palabres.
Le plus virulent, le costaud, lui semblait avoir les yeux jaunes. Sami voyait très distinctement les petits éclairs de rage et de haine qu'il lui lançait. L'autre, plus jeune, moins intelligent, aussi, cultivait son regard cynique derrière ses lunettes.

Morceaux choisis, rapportés par Sami (dont le cou, à l'heure où nous écrivons, est toujours douloureux) :
"Une plainte ? Mais pour quoi ? Ha ha ha ! (il lui ricane dans le nez) Si encore on t'avait éclaté la gueule, où si on t'avait descendu, je dis pas ; mais là, qu'est-ce qu'on t'a fait ? Rien ! Ha ha ha ! (...) Je les connais, moi, à l'IGS [Inspection Générale des Services], j'y ai bossé : on s'en fout des gars comme toi, on en a rien à foutre, tu comprends ?"

Alors que Sami lui faisait sous-entendre qu'a priori la Police était là pour protéger le citoyen (c'est-à-dire en l'occurrence, lui) contre les méchants, et non de l'attaquer à une heure du matin dans une rue déserte, de le brutaliser et de l'étrangler jusqu'à ce qu'il suffoque, sous prétexte de le protéger :"J'vais t'dire un truc, moi, j'vais te dire comment je vois les choses : la Police, c'est une grande maison d'enculés, voilà comment je vois les choses !... (...) Y'a pas de gentils, y'a pas de méchants ! Nous on fait notre boulot de merde, et c'est tout."

"Changez de métier", suggéra Sami au policier qui avait des yeux jaunes. "Visiblement, vous êtes malheureux, et vous ne faites pas très bien votre travail..." ajouta t-il.
"-Mais qu'est-ce que tu crois ?... J'aime ça, moi, ce métier, j'aime ça tirer sur les gens ! C'est pour ça que je me suis engagé dans la Police !..."

Le lendemain, au commissariat de Police de Bagneux où il se rendit avec la ferme et naïve intention d'y déposer une plainte, il fut reçu aimablement, mais on jugea inutile d'enregistrer quoi que ce soit. "C'est normal... Vous êtes jeune, sensible... Peut-être qu'ils ont voulu vous faire un peu peur (sourire). C'est pas facile d'être flic. Mais c'est comme ça qu'on fait d'habitude, il faut bien se protéger (etc, etc)... C'est normal, vous savez... Vous n'êtes pas habitué, voilà tout" : voilà ce qu'il se fit répondre.

Sami se dit qu'il serait tout de même dommage qu'il en vienne à "s'habituer" à ce genre de traitements.
Il est allé se coucher, et le lendemain, il a raconté cette histoire à tous les gens qu'il rencontrait.
Comment va-t-il ?
Oh, ça peut aller. Il se remet de ses petites émotions. Il s'énerve assez facilement.
Est-il amoureux ?
Non.

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28 Février 2002 :

OU EST SAMI ?
Il est revenu de son séjour en Angleterre dans un état d'enthousiasme délirant. Dix jours, d'abord à Londres, puis à Oxford, et de nouveau à Londres.
Maintenant, il doit être à Sciences-Po.
Que fait-il ?
Voici à peu près ce qu'il écrivit mercredi dernier à son amie Edwige, qui, répondant à la carte postale que Timothée et Sami lui avaient envoyé d'Oxford, lui réclamait des précisions à propos de son séjour :

"Mercredi 27 Février 2002

Ma chère Edwige,

Ohlala, je me rends compte que ça fait une semaine que tu m'as envoyé un mail que j'ai laissé sans réponse.
Je m'aplatis de honte à tes pieds.

Voici comment se sont passées les choses : on est rentrés de Londres le 18 : Timothée, Dorothée et ma modeste personne, dans le rôle de l'aimable porteur de chandelle.

La semaine dernière, je n'ai fait que dormir et lire quelques romans d'aventure de ma folle jeunesse. Arsène Lupin, L'île au Trésor, Jacquou le Croquant, Tom Sawyer, Huckleberry Finn : et j'ai bien rigolé.

Jusqu'à dimanche soir, dieu sait pourquoi, j'étais persuadé que j'avais encore une semaine de vacances.
Mais non, je suis à Sciences-Po, et je vais devoir me remettre (ou me mettre) à me durcir le derrière sur des chaises inconfortables, à écouter des maîtres dont certains sont puants, et à faire des recherches sur des sujets ininterréssants au possible.

A cup of tea ?

Pour le reste, je suis vraiment très content de mon voyage en Angleterre.

D'abord, j'ai pu voir Oxford, traîner dans les cafés branchés avec Tim, avaler des saloperies de scones et de pudding aux raisins, et dire "Have a nice day" à la caissière, ce qui, à ma grande joie, me valait mille remerciements plein d'une délicieuse et chaleureuse sincérité...

J'ai traîné dans les musées aussi, ce qui m'arrive assez rarement : à Oxford, les choses sont allées plutôt rapidement. L'auguste et légèrement pompeux Ashmolean Museum était plein de croûtes de maîtres (mais aussi de jolies étudiantes) ; quand au non moins pompeux "Museum Of Modern Art", nous n'avons eu besoin de perdre qu'un seul petit quart d'heure pour nous rendre compte de son ridicule absolu. Des murs blancs, deux bras en papiers mâchés émergeant de l'un d'eux, et enfin deux installations vidéos tout-à-fait dénuées tant de sens que d'intérêt. Mais j'ai bien cru devoir être condamné jusqu'à la fin de mes jours à ressentir de violentes aigreurs à l'estomac au seul énoncé de l'expression d'Art Moderne. Timothée, d'ailleurs, m'a traité de facho, tandis que je m'empêtrais lentement dans une critique un peu vaseuse de ce que j'appelai, encore tout rempli du lexique amphigourique de Roland Barthes, "les formes petite-bourgeoises de l'Art contemporain".

A la fin de la semaine (et plus particulièrement le soir de la Saint-Valentin), Timothée commençait à être à la fois fatigué et fatiguant : heureusement que Dorothée est arrivée. Mais alors, impossible de les voir, sinon le soir. Et c'est tout seul que j'ai fait les musées à Londres: d'abord la National Gallery, puis les deux Tate. Visites qui m'ont permis d'opérer avec l'Art Contemporain une certaine réconciliation.

Sam Taylor-Wood - Soliloquy I - 1999 (Tate)
J'ai pu aussi gruger dans le bus (le 168 et le 24, notamment), rafler des cartes postales à la Tate Modern, jouer à Wolfenstein 3D dans l'appartement de Mike, à Camden (prêté pour l'occasion à Timothée et Dorothée, et transformé par eux en un petit nid d'amour douillet, ou plutôt en un champs de bataille douillet -Timothée a toujours eu des problèmes avec l'ordre) discuter avec Véronique [la mère d'Agueda]..

Patterson - the great bear (Tate)


Agueda est une très chouette fille. Rare. D'ailleurs je me marierai avec elle, un jour.
Quant à Phil, qui se trouve avoir la chance de posséder le titre de prétendant officiel, c'est "un gars bien". Je ne me dédis pas.
Vraiment, on a bien rigolé avec lui, à la fête du mercredi soir, et pourtant, Agueda n'était pas là.

Bref, bref, bref.
J'ai encore mille choses à raconter, mais l'heure tourne, et peut-être ton temps est il plus précieux que le mien.

(Il me faut une cigarette.)
J'en fume le jour, j'en rêve la nuit

Je serais donc positivement joyeux de te voir vendredi ou samedi ; Qu'en dis-tu ? et puis tiens, je vais t'appeler ce soir, comme ça on pourra essayer de s'arranger pour trouver un moment et prendre un martini ensemble...

A bientôt.

                           Sami."

Comment va-t-il ?
Plutôt bien, les enfants, plutôt bien.
Est-il amoureux ?
Non.

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Mars

2001 : septembre - octobre - novembre - décembre
2002 : janvier - février - mars - avril - mai
29 Mars 2002 :

OU EST SAMI ?
Toujours à Sciences-Po, vraisemblablement. Timothée ne dira pas le contraire : il y a croisé Sami au moins douze fois la semaine dernière.
Que fait-il ?
Il vit au jour le jour. C'est intenable, il le sait, il se délecte de cette certitude.

Depuis le début de l'année, il a lu au rythme de un à deux livres par semaine, surtout des romans, et des recueils de nouvelles.

Il en tire une fierté que je trouve un peu exagérée, voire même déplacée : en effet, quelle gloire un esprit non superficiel peut-il tirer à lire des livres ? C'est un travail de fainéant. Pour prétendre à être fier, encore eût-il fallu qu'il crée. Mais je crois savoir qu'il ne fait rien.

Sami lit trop de romans, mais, que voulez-vous...
En revanche, depuis une semaine, il découvre Hemingway (Fiesta - The Sun Also Rises, puis Les Vertes collines d'Afrique, enfin Paris est une fête), et outre qu'il s'est trouvé une nouvelle passion pour cet auteur, une autre conséquence importante de ces lectures a été de découvrir les vertus hautement apétifères de Hemingway.

Il lui donne faim. "La Faim est une bonne discipline", dit Hemingway, et il lui semble (j'ai vérifié, et ce n'est pas aussi flagrant qu'il le dit) que ses romans sont habités de repas copieux et détaillés par le menu, de viandes en sauce, de légumes à l'huile et au persil, d'huîtres d'Oléron et de volailles rôties, le tout arrosé de dizaines de litres de bons vins français. Aussi, pendant une semaine, chaque soir, Sami s'est jeté sur son dîner avec une sorte de volupté sauvage.

Depuis une semaine, il voit Timothée presque tous les jours, et ces rencontres fortuites contribuent à donner un peu de structure à son existence.
De plus en plus, il sent que Timothée n'est pas seulement pour lui un ami loyal, mais même plus car il a pour Sami l'indulgence, bienveillante mais critique, d'un frère. Au fond, quelles raisons avaient-ils de devenir amis ? Aucune -mais il existe maintenant entre eux une sorte d' attachement tout fraternel qui les lie de manière indissoluble.

Lundi, dans le bassin des jardins du Luxembourg, de gros poissons flottaient morts à la surface, tandis que quelques survivants suffoquaient, tournant en rond à la surface, bouche ouverte, comme pour se noyer dans l'air. Un jardinier qui les ramassait avec son épuisette, furieux et désolé, expliqua aux badauds qu'il en avait pêché quarante la veille, morts. Pour lui, le bassin avait été empoisonné, ça ne faisait aucun doute.

De petits groupes de curieux s'arrêtaient tout le long du bassin, regardaient les poissons immobiles, tâchant peut-être de comprendre, heurtés par toute cette mort, cette hécatombe absurde.

Sami fut très ému.

Le printemps est partout, discret encore ; mais personne ne peut faire semblant d'ignorer ce bourdonnement, ce tremblement de l'air, la texture du ciel et les bourgeons éclatants brusquement dans les rues, chaque matin.
Sami s'en réjouit.

Comment va-t-il ?
Oh, son état de santé est une énigme absolue. C'est un peu irritant. Je crois qu'il commence à se laisser tomber malade exprès. Ou bien peut-être même sans raison. Je veux dire que selon moi, il est possible qu'il se montre un peu trop accueillant aux conséquences morales et physiques de sa faiblesse.

Il n'empêche que ses nuits sont de nouveau troublées : quatre fois d'affilée, il a mis deux heures à s'endormir : chaque fois qu'il commençait à glisser dans le sommeil, il sentait sa respiration s'interrompre avec le fil de sa conscience, comme si le fait de respirer n'était plus pour lui un réflexe élémentaire, mais un acte qui demandait un effort de volonté.
D'ailleurs, pendant le cours de grec du vendredi, Caroline Dumoucel, à laquelle il racontait ses malheurs,  l'a comparé à une "blonde".
En tous cas, Marion, la grande soeur d'Alexandrine, lui a dit qu'elle le trouvait "bien fatigué", et lui a demandé de ne pas mourir avant d'avoir épousé sa soeur.

Sami, en riant, a promis qu'il essaierait.

Est-il amoureux ?
Amoureux ? Il aimerait bien.
Mais à Sciences-Po, toutes les filles un peu chouettes sont accaparées par de lointains petits amis de province ou d'ailleurs. Ah, ils ne s'embêtent pas, les bougres.

Les autres sont trop jeunes. Trop bêtes. Trop loin. Inaccessibles.

Sa vie se peuple d'e-mails étranges ou fous ; la semaine dernière, il a reçu une petite enveloppe brune sans nom d'expéditeur. Celle-ci ne contenait que huit pétales de fleurs.
Les émetteurs inconnus de ces messages mystérieux viennent hanter ses rêves sous la forme de silhouettes floues et moqueuses.

C'est très troublant. Il prétend que ça l'agace, mais je crois que c'est des blagues.
 
 

Avril

2001 : septembre - octobre - novembre - décembre
2002 : janvier - février - mars - avril - mai
18 Avril 2002 :

OU EST SAMI ?
En ce moment, c'est les vacances.
Sami traîne entre chez lui (allée Paul Eluard), Beaubourg et le foyer International de Jeunes Filles, sur le Boulevard Saint-Michel.
Il voit beaucoup Alexandrine.

Que fait-il ?
Sa vie est agréablement mouvementée ces derniers temps. Il bouillonne, comme il aime.
Juste avant les vacances, Sami a appris une nouvelle étonnante (au fond, pas tant que ça) : son ami Nicolas Pétriat sort avec Marie. Nicolas rayonne littéralement, et sa figure de saint, lumineuse et exaltée, est un vrai plaisir à regarder.
J'ignore si cette nouvelle (que Sami, tout heureux du bonheur de son ami, a savouré avec un plaisir non dissimulé) est à l'origine de l'étrange état d'esprit dans lequel Sami se trouve depuis maintenant plus d'une semaine.

Mais peut-être aussi est-ce la faute de Florian Zeller, son maître de "Lecture" à Sciences-Po, qui, jeudi soir, a fait une conférence sur "la notion d'héroïsme en littérature", pendant deux heures très denses, étourdissantes même, que Sami a vécu intensément, dans un silence passionné, et qui lui ont mis l'esprit et les sens en révolution.

Peut-être aussi est-ce le fait de sa passion nouvelle pour Dada, et même pour les premiers surréalistes.

Nul n'est censé ignorer Dada
L'exposition de Beaubourg lui a permis de se familiariser avec des noms et des oeuvres qu'il a ensuite retrouvé dans ses lectures. Il a expliqué à plusieurs personnes qu'il comptait bien mettre au point une revue néo-dada, et Caroline Dumoucel lui a suggéré en riant qu'elle pourrait se charger d'un article.
Sami n'a rien dit, mais il l'a prise très au sérieux : il a déjà trouvé un titre à sa revue, tiré aux dés : 799. Seulement, il faudrait qu'il trouve des gens avec qui discuter, avec qui écrire. Il faudrait qu'il étaye ses thèses sur l'Art, qu'il les renforce, qu'il les transforme en écrits, ou en toute autre production littéraire ou artistique, et pas forcément dada, car Sami n'est pas un thanatophage.
Il lui faudrait trouver un moyen de canaliser sa révolte, en somme.

Jeudi soir, il s'est rendu à la Soirée Sciences-Po à l'Elysée-Montmartre. Quelle soirée atroce.

D'abord, Sami s'est laissé faire. Il s'est laissé affubler d'un couvre-lit "peau de tigre" appartenant à Timothée.
Il a dansé avec Alexandrine. Il n'a pas réussi à danser avec Marie.
Il a dansé avec Elsa, de manière de plus en plus sensuelle, trop sensuelle, et tout a failli dégénérer, parce qu'Elsa a des yeux et un regard d'une beauté renversante (Mais chut! c'est un secret) ; n'était sa présence d'esprit monacale qui surnageait, et aussi sa crainte d'avoir l'haleine trop chargée en alcools pour tenter un baiser.

Où sont les slows ?
Il s'est laissé offrir un tas d'alcool par des gens enthousiasmés par sa tenue. Bière vodka gin whisky soda rhum orange. Un type parfaitement ivre lui a proposé d'une voix pâteuse d'embrasser sa copine, qui, complètement ivre elle aussi,  riait d'un rire stupide et sensuel. Sami a hésité un moment ; et comme il refusait aussi le verre de liquide rougeâtre et nauséabond qu'on lui offrait, le type, visiblement déçu, a fini par lui tendre un billet de 10 Euros en disant "eh, tu veux 2 Euros pour aller t'acheter un truc au bar ?".

Il s'est laissé engueuler par Madeleine, une sorte d'amourette de l'année dernière, qui lui a fait une scène idiote en plein milieu de la boîte, sous prétexte qu'il avait dit à quelqu'un qu'elle était "inintéressante". Après un effort de concentration, Sami s'est en effet souvenu l'avoir qualifiée auprès de Marlène, quelques jours plus tôt, "d'insignifiante". Ce qui est pire. Il tenta bien de trouver une réponse cinglante, mais ne parvint qu'à bafouiller de plates excuses.
Honte sur lui.
Il s'est ensuite laissé insulter par Madeleine, qui l'assassinait de son regard de prédatrice, féminine, calme, sûre d'elle, meurtrière.
Il était un peu triste, parce que ce n'est jamais drôle de se faire détester de cette manière.

Et puis quand tout fut fini, qu'Elsa lui eût rendu sa peau de tigre avec une sorte de froideur qui le glaça, que Madeleine fût allée tout raconter à sa meilleure amie Florence B., qui hocha la tête avec son air de moraliste et de bourgeoise satisfaite, qu' Alexandrine eût disparu, que tout le monde se fût évaporé, il se retrouva soudain seul dans la boîte.
Alors, il erra un moment sur le parquet jonché de gobelet éclatés, de bris de verre et de mégots écrasés, et joua à faire rouler à coups de pieds une bouteille de bière qui ne lui avait rien fait.
Il fuma une cigarette, discuta avec un videur à l'élocution difficile, et finit par récupérer ses affaires. Ticket 799.

solitude solitude solitude extrême et désolante à six heures du matin ; le matin se lève à Montmartre, et Sami marche sans but dans le brouillard. Il prend des photos : un merle près d'un sac poubelle éclaté, un arbuste déraciné en pleine rue, sur le pavé, tombé (accident ou suicide ?) du balcon du sixième étage d'une maison.

Envie de se jeter par la fenêtre. Même pas pour se tuer : il habite au premier étage. Ce n'est pas vraiment très haut.

Envie de faire un esclandre. De se battre avec des bourgeois propres.
Mais il n'y a plus de bourgeois propres, de nos jours. Sauf Florence B. Et il a trop peur de se faire des ennemis pour se permettre de l'insulter publiquement.

Bouillonnement de plus en plus inquiétant.

Hugo Ball crie (1917)

Sami, qui se définit volontiers comme "un faux moine", ne voit pas pourquoi, malgré tout ce que peut lui dire Timothée, sa vie serait moins palpitante sous prétexte qu'il ne baise pas.

Ce qui lui manque, c'est quelque chose qu'il pourrait désirer vraiment.

Un être humain, même sachant que toute aspiration n'apporte qu'une illusion (l'illusion que donne l'aspiration mène à croire que l'existence a un sens), peut en fait difficilement vivre sans aspiration : que ce soit une aspiration d'ordre  philosophique ou moral, ou même, et c'est le cas de figure le plus fréquemment rencontré dans notre société ridiculement primaire, une aspiration matérialiste au confort, à l'achat, à la propriété.
Un être humain a besoin de désirer quelque chose ; et si ce n'est pas la vie éternelle, qu'est-ce que cela peut être, sinon un désir d'action ?

Sami, sans doute, éprouve bien ce désir d'action. Seulement, il ne sait ni où, et surtout ni comment le satisfaire.

Déchiré entre ses envies de révolutions héroïques et grandioses d'une part, les impératifs financiers qui le forçent à poursuivre ses études (dans le but odieusement médiocre de pouvoir prétendre dans l'avenir à un revenu suffisant pour lui permettre de vivre disons décemment et aussi de subvenir aux besoins de ses parents), Sami en est pour le moment réduit à une passivité désolante, incapable de choisir entre ces deux extrêmes.
Jouer double-jeu lui semble impossible : ces impératifs sont inconciliables, à moins de ne pas craindre de perdre sa jeunesse ou son âme. Sami craint de perdre les deux. Ses parents, êtres à l'existence généralement absurde et sans vie, lui fournissent un magnifique exemple de ce à quoi il ne veut pas aboutir.

Peut-être inexorablement, Sami se dirige en fait vers ce qui lui apparaît comme la seule fin possible : le suicide.
Jusqu'alors, le meilleur antidote à ses tendances suicidaires avait été Albert Camus, et sa philosophie qui introduisait de l'optimisme et du bonheur dans le néant absurde.
Mais, au contact de la violence passionée et intransigeante, de la folie héroïque qu'il croise, au hasard de ses errances littéraires, personnages ou auteurs, Sami ne peut s'empêcher de sentir et de déplorer chez Camus la faiblesse de ses propos de tuberculeux, la vanité lamentable de ses héros de roman (qu'il a autrefois idôlatrés), l'inconsistance de sa philosophie, qu'il croyait supérieure.
Il lui semble que Camus justifie après coup l'existence terrestre, et ne conclut à l'inutilité du suicide et à la possibilté du bonheur que pour justifier sa propre lâcheté... quoi qu'il en dise.

Cette démarche inductive, cet empirisme qu'il soupçonne d'être à l'origine de la pensée de Camus discréditerait de fait aux yeux de Sami toute la philosophie qui en découle.

Pourtant, l'image calme et élégante de Camus trône toujours au-dessus du bureau de Sami. Et c'est peut-être cette seule petite photographie, ce seul visage sans sourire, ce regard étrangement soucieux, qui le retiennent, providentiellement, provisoirement, hélas, à la vie.

Sami est sur la corde raide, en équilibre précaire. Nul ne sait ce qu'il trouvera de l'un ou de l'autre côté du fil.

Mais ce dont il faut être sûr, c'est que tout cela, ce questionnement, cette agitation intelectuelle, le rend profondément heureux.

Il pense à sa cousine Hanna, qui le bipe de temps en temps.
Il aimerait bien voir Edwige avant la fin des vacances.

Comment va-t-il ?
Pas mal. Il ne dort pas beaucoup, mais ça n'a aucune importance. C'est les vacances.

Est-il amoureux ?
Non, et franchement, je crois qu'il n'aimerait pas l'être en ce moment. Il avait prévenu Elsa, d'ailleurs.
Il craint d'être incapable d'assumer toutes les obligations fastidieuses que suppose l'entretien d'une relation amoureuse.
Ces choses-là fluctuent, bien sûr...
Mais il voudrait essayer de lutter contre la facilité.
 

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Mai

2001 : septembre - octobre - novembre - décembre
2002 : janvier - février - mars - avril - [mai - 3 - 23]
3 Mai 2002 :

OU EST SAMI ?
A Sciences-Po, le moins possible.

Comment va-t-il ?
Il est complètement démoli. Chaque jour un peu plus.
Tout a commencé le soir du premier tour des présidentielles. Et puis ça a empiré, encore et encore.
Il hésite à affirmer qu'il sera toujours en vie la semaine prochaine.

Que fait-il ?
Il passa le début du week-end à essayer de récupérer de sa soirée et de sa (courte) nuit de sommeil chez Catherine D, vendredi soir.
Dimanche, après sa traditionnelle dispute dominicale avec ses parents, il claqua la porte et décida de profiter du beau temps pour bronzer un peu au Parc de Sceaux.

Il laissa son vélo devant le château, sur le grand parking pavé. Il traversa avec une lenteur infinie et enjouée les allées, les vastes pelouses et les bosquets, vers le Grand Canal.
Il faisait un temps radieux, et le gravier clair des allées et les remous légers à la surface de l'eau scintillante l'aveuglaient par moment.

Il s'étendit au bord de l'eau, sur l'herbe ; il lut un peu.

Mille odeurs et mille sensations retrouvées lui montaient à la tête, et c'était pour lui un bonheur douloureux et nostalgique.

Sensations orphelines !
Il n'en ressentait que plus cruellement encore ce qui lui manquait, les absentes et les vides de ce moment.
L'odeur de la peau, l'odeur des cheveux, l'odeur des lèvres, et leur douceur, et leur goût, et le souvenir des baisers et des caresses.

Le soir, il y eut les élections, et pour tous, ce fut un moment de surprise et d'horreur. Lui, en jeune pseudo-anarchiste, avait décidé de voter blanc. Il haïssait la mollesse et les compromissions des "socialistes". Il haïssait la campagne molle et sans enthousiasme de Jospin, ses concessions à la démagogie, à ses conseillers en communication, le vide sidéral de ses "slogans" et l'hypocrisie dégoûtante du soudain intérêt des socialistes pour la couleur rouge.
Et puis, de toutes façons, il aurait voté Jospin au deuxième tour, contre Chirac.
Passé le moment de surprise et d'horreur, il est allé manifesté, un peu mollement.
Il s'est détruit, masochistement, en lisant des articles sur les électeurs de Le Pen. Il est allé lire sur Internet un livre qui s'appelle Au Front, sorte de témoignage de l'intérieur, d'une journaliste qui, en 1987, est entrée au Front National dans un quartier défavorisé de Marseille, pour "comprendre".

Les gens qui ont voté Le Pen l'ont fait en pleine conscience.
Ils savaient donc que leur bulletin était une bombe, que leur vote était un attentat, un attentat contre tout, et particulièrement contre la mauvaise bonne conscience de droite comme de gauche, contre tous ces messieurs-dames encravatés-bien comme il faut, qui prétendent savoir mieux que les autres ce qui est bon pour eux, et qui osent prétendre parler au nom "des français".
Ils sont donc parfaitement irrécupérables.

Alors Sami rumine.

Lundi matin, place de la Sorbonne, il est tombé sur Sophie. Une Australienne qu'il avait connu deux ans plus tôt. C'était fou, alors. Tout le monde était amoureux d'elle. Lui aussi, d'ailleurs.
Il était tellement surpris ! Il ne savait plus quoi dire, et bredouilla quelque imbécilité. Puis, reprenant ses esprit, il a fini par l'inviter à venir le lendemain soir chez Timothée.
C'était très drôle.

Est-il amoureux ?
Certainement pas. Quoique.
 

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23 Mai 2002 :

OU EST SAMI ?
A Sciences-Po, il essaye de faire un comeback. Il traîne aussi à Beaubourg. Il traîne un peu partout, pas beaucoup chez lui, parce qu'il essaye d'éviter un peu ses parents.

Que fait-il ?
Il voit des choses étranges. La deuxième semaine du mois, surtout.
Un mardi soir, revenant de chez Jenny (qui habite rue Hermel près de Montmartre) vers trois heures du matin, il alla se perdre du côté de la Gare du Nord. L'haleine chargée en Whisky et autres Gin-Fizz, il sifflotait très fort l'air de Pierre et le Loup.
Quand soudain il se rendit compte qu'il allait marcher dans une immense flaque d'un liquide noir et visqueux. Il se pencha : c'était du sang coagulé.
Il crut d'abord qu'il était devant une boucherie ou je ne sais quoi d'autre ; mais non, il n'y avait là qu'un petit distributeur de billets.
Interloqué, il s'arrêta, inspecta les environs, et découvrit une autre grosse flaque de sang, et des trainées d'un noir douteux sur le sol. Il remarqua alors de chaque côté de la scène, les deux bandes de chantier rouges et noires, qu'un vent léger faisait flotter sur le trottoir, et qui allaient se noyer dans le caniveau. Il vit aussi les gants de latex blancs maculés de sang, et le grand drap blanc couvert de sang posé près du mur ; et enfin, sous le distributeur de billet, le gros sac "Hôpitaux de Paris".
Il se rendit compte qu'il n'avait pas son appareil photo.

Lentement, il poursuivit son chemin, se retournant sans cesse, comme pour s'assurer de ce qu'il n'était ni fou ni ivre.
Arrivé devant la Gare du Nord, il vint s'asseoir près d'un jeune homme assis sur un sac de sport, qui s'appelait Sébastien, qui venait d'Amiens, et qui ne trouvait pas de travail dans la capitale. Un type s'arrêta, puis toute une bande d'italiens qui arrivaient deux heures trop tôt pour le train de Londres. Le type, se targuant de "connaître l'accent italien", refusa de croire qu'ils étaient italiens, les accusant d'être plutôt "yougoslavia... albanis". Si bien que l'un d'eux, excédé, finit par me faire lire sa carte d'identité, et me fit répéter trois fois son lieu de naissance : "Milano".
Puis vint un clochard d'une extraordinaire intelligence, qui fit semblant de se disputer avec Sébastien, sous le regard amusé de deux employés qui déchargeaient des caisses de marchandise sous vide pour les distributeurs de la gare. Le vieux clochard avait la main droite paralysé.
Mais Sami finit par quitter Sébastien, une bonne demie-heure plus tard, et, longtemps, alors qu'il s'éloignait, ils s'adressèrent de grands signes de la main.

Sami traversa Paris, se perdit dans le dédale des rues obscures, et puis croisa une femme étrange, une sorcière ou peut-être quelque sorte de folle apeurée, qui ignorait dans quelle direction se trouvait la Seine.
Et il marcha, marcha encore dans les petites rues désertes, jusqu'au Pont Saint-Michel, où il réussit à attraper un bus de nuit.
Et, lorsqu'il fermait les yeux, il avait la tête pleine d'idées bizarres.

Une autre nuit, alors qu'il passait sous le pont de Bourg-la-Reine, il aperçut une forme étrange près du caniveau, dans l'obscurité. Intrigué, il s'approcha ; c'est alors qu'il put reconnaître l'objet en question : il s'agissait d'une tête de porcelet décapité.

Alors Sami décida que ces scènes bizarres dont il avait été témoin en deux jours devaient certainement être quelque signe envoyé sur son chemin par la Providence.

Mais, incapable de démêler les fils de l'énigme, il fut contraint de laisser tomber la chose au bout de quelques jours.

De temps à autres, quand Sami rentre chez lui le soir, il autorise Enzo, le chat sans domicile fixe de son immeuble, à venir squatter sa chambre. C'est une chat roux, extrêmement sensuel, un peu gaga même, qui appartient à Elodie, une jolie voisine de Sami. Il lui apporte un peu de lait dans une coupelle.
Enzo monte sur le bureau de Sami, renifle un peu les papiers, fait tomber les feuilles et démolit les piles de livres. Puis, effrayé, il saute à terre, grimpe sur le radiateur, se roule en boule sur le lit et finit, invariablement, par aller miauler près de la porte.

Depuis trois jours, Sami parle beaucoup avec son ami Nicolas Pétriat, qui, pour une histoire stupide, peut-être même légèrement sordide (NDLA : ce dernier terme est contesté par certaines parties), et que Sami n'a pas le droit de révéler pour de bien mystérieuses raisons, vient de se faire plaquer par Marie, dont il était complètement amoureux. Apparemment, Sami a eu Nicolas au téléphone le soir de l'évènement, et Nicolas semblait vraiment bouleversé, et, d'entendre ainsi son ami aussi malheureux et désespéré, Sami éprouvait une sorte de malaise indéfinissable.

Hier soir, il a passé une soirée très-étrange en sa compagnie, à la terrasse du Café Leffe de Montparnasse.
Alors qu'ils finissaient leur salade, un mystérieux personnage est venu interrompre leur dîner pour de bien mystérieuses raisons, et Sami et Nicolas se sont faits traiter tous deux de "rois des cons". Le mystérieux personnage, quoique calme en apparence, riant avec même du cynisme, était visiblement furieux. Lié aux mystérieuses raisons qui ont conduit à la séparation de Nicolas et de Marie, il a accusé Sami de "manque de délicatesse", de "complicité typiquement masculine", Nicolas d'être un "égoïste" parce qu'il prétendait vouloir être moral, et après les avoir une nouvelle fois traités de "vieux potes au comportement typiquement masculin", a reproché à Nicolas de ne pas s'être conduit en vrai homme, c'est-à-dire en vrai salaud.
Le mystérieux personnage a ensuite déclaré que cela allait conclure cette discussion, s'est levée, et, d'un pas décidé, sans se retourner, a disparu au coin de la rue, laissant Nicolas et Sami seuls à leur table, dans une profonde perplexité.

Sami donne des rendez-vous à plein de monde. C'est très chouette.

Comment va-t-il ?
Eh bien les enfants, il se sent un peu fatigué. Mais le moral est rudement bon.

Est-il amoureux ?
Peut-être bien. Mais de qui ? C'est un peu compliqué. Il préfère ne rien dire du tout.

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Juin

2001 : septembre - octobre - novembre - décembre
2002 : janvier - février - mars - avril- mai
18 Juin 2002 :
 
 

AU COURRIER DES LECTEURS
"Quelle vision parcellaire des propos du mystérieux personnage !"
Le mystérieux personnage nous écrit

Celui-ci (celle-ci, NDLR) tient à apporter un correctif au discours subjectif tenu par le touchant, mais néanmoins infidèle à la réalité, Sami.
Non qu’il accorde beaucoup d’importance au fait de redorer son blason : il possède un bien précieux ; l’anonymat.
Non qu’il s’accorde une importance démesurée : c’est un personnage important.
Le mystérieux personnage revendique simplement le droit à l’exactitude.
Il va donc lui-même réécrire ce passage erroné de la vie de Sami, en excusant le jeune homme pâle, qui, ce jour-là, se trouvait beaucoup trop exposé aux émanations diverses du quartier de Montparnasse, assis comme il l’était sur la terrasse.
Mais ne nous égarons pas.

Le mystérieux personnage ne s’était pas teint les cheveux depuis longtemps. Il s’ennuyait. Sa vie trop parfaite le plongeait dans un état d’intense dépression. Rien n’entachait son bonheur, aucun petit nuage gris ne venait mettre un terme à son état de plénitude abétissante. Pire encore, un soleil frais régnait sans partage sur le ciel, depuis de trop nombreux jours.
Le mystérieux personnage, physiquement et moralement détruit par tous ces facteurs exogènes, s’y résignait lentement, se consolant avec la connaissance de sa prédisposition à l’alcoolisme, lorsque soudain, et de manière superfétatoire, le pire vient à sa rencontre : il se rendit compte que son petit ami l’aimait.
C’en était trop, vous en conviendrez aisément.
C’est pourquoi le mystérieux personnage, afin de sauver son intégrité, décida de commettre un acte sordide ( le mot est juste, malheureusement tempéré dans les propos du jeune homme maladif par un époustouflant peut-être). Un acte immoral, égoïste, gratuit, aberrant, non-orgasmique… un acte laid.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
L’acte remplissait à merveille tous les critères, et en inventait d’autres, plus réjouissants encore ! Le remords vint même, par intermittences, se joindre aux sentiments éprouvés.
Le mystérieux personnage, après cela, pensait bénéficier de 3 ou 4 jours de sursis, avant de retomber dans le bonheur le plus total, le plus désespérant. C’est ce qu’il se passa.
Néanmoins, dans l’intervalle, étaient apparus de nouveaux facteurs, qui allaient à l’encontre de ce que le mystérieux personnage avait projeté : son égocentrisme naturel, pimenté d’une pointe de mégalomanie douce, l’avaient incité à ne pas même songer un seul instant aux actes de Nicolas Pétriat, puisqu’il faut bien faire intervenir ici la malheureuse victime consentante et entreprenante, trop attirée sans doute par les hanches développées du mystérieux personnage : vous savez, ce jeune homme à la figure de saint illuminé, qui, à force de fréquenter sa petite amie, jouait le jeu abject de l’amour tout en perdant l’essence même de sa personne, son côté de génie tourmenté et délicieusement répugnant. La « malheureuse victime » se construisait une forteresse d’illusions et en était réduit à écrire des sentences aberrantes et nauséabondes telles que : «  je l’aime, mais je n’aime pas notre relation » …

Mais le mystérieux personnage s’arrêtera ici : il ne souhaiterait pour rien au monde donner à son acte un caractère altruiste.

Il se rendit donc, un mardi soir, au Café Leffe, qu’il n’eut d’ailleurs pas trop de mal à trouver, bien décidé à faire comprendre à Nicolas Pétriat le caractère insensé de la révélation qu’il avait faite quelques jours plus tôt à ce qui n’était désormais plus que son ex-petite amie : celle-ci avait agi de manière « sensée », rompant avec lui, après la révélation insensée de Nicolas Pétriat au sujet de sa relation adultérine et courte sur fond du film « A new hope. Star wars » .
Le mystérieux personnage pensait en effet que la réaction de Nicolas était tout d’abord égoïste : Marie allait souffrir de cette déclaration, car qui ne serait pas touché, au plus profond de son ego, par le fait d’avoir été trompé ? Et tout cela pour se soulager la « conscience » .
Une réaction puérile, ensuite, cela va sans dire. Avouer une bêtise et attendre, pour savoir si ce qu’on a fait est bien ou mal.
Mais le mystérieux personnage était encore plus désarçonné car entretemps, il avait appris que Nicolas Pétriat avait demandé conseil à Sami Kitar sur la conduite à adopter.
Ce cher Sami Kitar, toujours aussi touchant, qui lui avait indiqué la voie de la « moralité ».
Le mystérieux personnage était furieux contre lui-même : il avait surestimé la capacité de Nicolas Pétriat à adopter un comportement typiquement masculin, à savoir lui « faire sa misère », boire une bière, roter et se marrer avec ses potes à coups de « elle est bonne, la salope ».
Le mystérieux personnage n’avait pas pris en compte le fait qu’un de ses potes, Sami Kitar en l’occurence, était lui aussi incapable d’arborer une conduite typiquement masculine. Pourtant, il avait paru se diriger sur cette sage voie, lorsqu’il avait demandé au mystérieux personnage, quelques heures plus tôt, avec un sourire entendu : « Alors, on a fait des bêtises ? [Hein, poupée ?] ». Mais ce n’était qu’apparences. Preuve en était des bons conseils prodigués à son bon ami Nicolas Pétriat.
Le mystérieux personnage avait donc commis une erreur de jugement, et pour cela, il était furieux.
Mais il était également furieux pour une raison assez simple : il ne voulait pas que cette histoire se répande, pour ne pas donner à son acte des airs de vulgaire plagiat laclosien.
C’est pour cela qu’il se rendit au Café Leffe. Car l’égoïsme et la puérilité de l’attitude de Nicolas Pétriat n’avaient pas motivé sa venue. Seule comptait, en effet, sa petite personne."
 

Très cher Sami (1), je te souhaite une bonne nuit.
Je t’embrasse.
A demain.

(1) NDLA : le mystérieux personnage commet ici l'erreur grossière de s'adresser à "Sami", alors que c'est un personnage imaginaire ! J'en ris encore.
 
 



 
 

Eté 2002

Sami a explosé.
Il a fait n'importe quoi.
Il a fait des choses terribles, et d'autres très belles aussi.
Il a commis les sept péchés capitaux.
Il était joyeux, cynique, bon, surtout.
Il s'est amouraché. Il croyait à un avenir meilleur.
Il ne dormait jamais. Il était exalté, et développait une sorte de mystique de la folie heureuse. Esthétique de la fatigue.

Et puis soudain, il s'est fait plaquer par tout le monde.
Ses amis, ses amours et tout le monde, et son passé, et son avenir.

Il est resté stupéfait un moment.

Puis il est mort.

Sami est mort

On a trouvé sur lui, dans une petite enveloppe brune décachetée, cette note manuscrite, quelque peu énigmatique :

He that dies pays all debts.

"Qui meurt paie ses dettes". Shakespeare, semble-t-il.
Hypothèse 1 : Sami n'ayant pas de dette pécuniaire connue, il pourrait donc s'agir de dettes morales.
Il me revient maintenant que Sami avait coutume de dire que sa personnalité apparente n'était pour une bonne partie qu'un emprunt au jugement des autres.
Nous savons également qu'il a tenté de faire "n'importe quoi", précisément pour s'en libérer, et ce, notamment en s'intéressant non seulement à l'acte gratuit, mais aussi à l'ivresse et à la folie.
Hypothèse 2 : incapable de se défaire des traits de caractère empruntés de sa personnalité présumée (présumée par les autres), il ne trouva apparemment d'autre moyen de s'en libérer que de se débarrasser de lui-même.
Conclusion : "Qui meurt paie ses dettes" : Sami est libre.
 

22 Octobre 2002 :

COMMENT VA SAMI ?
Il est mort.
On dit qu'il s'est suicidé ; je ne sais pas trop quoi penser.

Où est-il ?
Son cadavre se trouve peut-être à l'aéroport de Tunis ; ou bien place de la Contrescarpe, ou dans un cinéma.
Ou encore, plus probablement (parce que c'est plus spectaculaire), dans le jardin d'une maison bourgeoise au Mans, reposant au côté d'une demi-douzaine de bouteilles de Get 27.

Que fait-il ?
Je vous dit qu'il est mort...
Les morts ne font rien ; ce sont des choses immobiles.
Les morts sont dicibles.
Ce sont des souvenirs.

Est-il amoureux ?
Hélas. Peut-être l'a t-il été.



Vous êtes cordialement invité à assister aux obsèques de

SAMI

HE THAT DIES PAYS ALL DEBTS

L’inhumation de son briquet en forme de briquet aura lieu le :

Dimanche 28 Octobre 2002
au Mont Saint-Michel.

Une messe païenne sera dite en sa mémoire près d’une espèce de grand trou.
 
 

« Il y a des gens à qui leur mort donne l’existence. »
Louis Scutenaire.